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L’incroyable histoire d’Arlette, fille de Gasparini

J’ai rencontré Arlette mercredi. Elle ne vous dit rien, et à part son entourage que j’ai effleuré, peu de gens la connaissent. Elle a 70 ans et va à la piscine de temps en temps. C’est là que j’ai eu la chance de discuter avec elle et la chance c’est un peu comme l’argent, vous pouvez la partager ou la garder pour vous. Dans ma bonté infinie, je partage avec vous cette conversation parce qu’Arlette, elle a eu son papa qui a été interné à Buchenwald. Il s’appelait Gasparini et sans le savoir, il a inspiré ce que vous allez lire, en espérant que ça vous inspire à votre tour : »

-Mon père avait une joie de vivre incroyable! Il nous l’a transmis à moi et mes frères et sœurs. Pourtant c’était pas facile dans les années 50. Il était d’origine italienne et ma mère d’origine polonaise, alors être une fille d’un rital et d’une polack c’était pas évident. Mais papa nous apprenait à être heureux malgré tout et à pas faire d’histoire. Il me disait si on t’embête tu te défends. Si c’était un Durant ou un Jean qui nous embêtait, alors pas de vagues, « on fait pas d’histoire« .

Il avait été interné à Buchenwald alors je pense qu’il avait gardé ce truc de pas vouloir se faire remarquer. Papa disait « quand tu regardais, les allemands tapaient. Quand tu écoutais, les allemands tapaient. Et quand tu parlait, les allemands tapaient« . Il a compris alors que les yeux c’est fait pour regarder, les oreilles pour écouter et la bouche pour parler. On l’avait tellement privé de ses sens, qu’après sa libération, il s’était juré de profiter de ses même sens à chaque instant. Il me répétait tout le temps « mais la vie est belle. Tu as regardé comme tout est beau.« 

En mon fort intérieur, j’admets que ces conseils planplan prenaient une tout autre saveur sortis de la bouche d’Arlette. Elle avait dû raconter toute cette histoire des centaines de fois dans sa vie mais même certaines personnes qui la voyaient régulièrement dans l’équipe de la piscine où j’ai travaillé ignoraient qu’elle en avait autant sous le coude. Elle parlait plus souvent de son fils dont elle semblait très fière, et pour cause : »

-Il a terminé les plus grandes écoles militaires de France. C’était pas gagné pourtant au début. A deux ans, on lui a décelé une leucémie. Les médecins m’ont dit qu’il avait très peu de chances de survivre, de guérir, et que si c’était le cas, ça serait long et pénible. Mais je repensais à papa. Il me disait que tout ceux qui avaient survécu étaient ceux qui étaient très fort dans la tête et qui avaient un espoir infiniment démesuré. Alors j’avais été éduqué dans une joie incroyable de la vie et j’avais aussi cet espoir là dont il parlait.

Ça a pris du temps mais j’allais tous les jours faire la leçon à mon fils à l’hôpital. Je voulais qu’il apprenne comme s’il allait à l’école alors je demandais aux maîtresses des polycopiés et j’allais lui donner des leçons à l’hôpital. Je demandais aussi aux médecins d’aller à la piscine avec lui. Je voulais pas que mon fils se laisse abattre. Et on allait marché aussi dans la forêt. Et tout ce que mon père m’avait enseigné, je l’apprenais à mon fils. Mon père avait appris l’autoguérison. Vous êtes magnétiseur, ça devrait pas vous surprendre mais bon quand on dit ça aujourd’hui. Et pourtant… (tout en parlant, elle gardait un œil alerte sur les petits événements de la piscine : les enfants qui jouent, les vagues d’eau formés par les nageurs, le bleu de l’eau…)

Vous savez, il a été interné deux ans là-bas et quand vous tombiez malade, les médecins allemands vous soigniez pas. Tout ceux qui partaient à l’infirmerie, ils en revenaient jamais. Mon père disait qu’il fallait tricher avec son cerveau, il en parlait à la troisième personne. Il l’appelait l’autre gaillard. Vous savez c’est comme quand vous avez une petite douleur, avec une plus grande, vous oubliez la petite. Eh bah il faisait ça à l’envers. Il m’a raconté qu’en deux ans, il est jamais tombé malade, pas un rhume, rien. Pourtant, à la fin lui et les autres survivants ne faisaient plus que 39 kilos. Plus tard quand on commençait à voir des régimes apparaître des années plus tard, mon père disait que si les gens voulaient perdre du poids, il fallait qu’ils mangent des légumes et de l’eau comme les allemands avaient fait. Ça marchait très bien pour maigrir.

Mais je vous parlais d’autoguérison, et mon père racontait qu’il fallait parler à son cerveau et « tordre le cou au gaillard » quand c’est nécessaire. Et lui donner du beau. Il y en avait plein qui avaient pas supporter les camps au point de se tuer, même une fois libre. Mais papa, ça lui avait donné une joie de vivre incroyable qu’il nous avait transmis. Il disait sans cesse « regarde comme la vie est belle. Tu sais ma fille, la vie est un jeu et on a une chance incroyable de jouer une partie et d’être là aujourd’hui« .

Alors après, même quand mon fils était malade, j’avais ça en tête. Je l’amenais à la piscine, se balader en forêt. J’adore la nature. J’ai pris l’habitude d’observer les feuilles des arbres se plier sous le vent, sous la pluie. Les yeux c’est fait pour voir, les oreilles pour écouter et la bouche pour parler. Alors je regardais tout le temps le beau de ce monde. Même sous la pluie, j’adore cette sensation, de sentir chaque goutte d’eau et de voir les feuilles d’arbres changer avec les saisons. Alors je m’énerve parfois avec mon époque, où les gens ne supportent plus la pluie ou le vent. Vous savez, avec mon histoire personnelle, j’ai beaucoup de mal avec la faiblesse des gens. (elle rigole en disant cela).

Et quand je râle trop sur les jeunes, mon fils me rappelle à l’ordre : « C’est ça que tu penses de mes enfants, tes petits-enfants? Mais pourtant ils sont jeunes, ils sont beau, heureux, intelligents. Tu m’a appris à voir le beau partout et tu râles parce que tu as regardé des jeunes qui ne te plaisent pas? ». Et il a raison alors je repense à ce que disait papa : « mais le monde est beau, il faut voir le beau tout le temps, partout« . Regardez par exemple le bleu de l’eau comme c’est beau ici, avec ces gens qui nagent en paix. On ne s’arrête pas assez pour regarder ce qui est beau.

Je reste convaincu que c’était un autre secret de la santé de papa. Il est mort à 86 ans avec toutes ses dents. L’infirmière lui avait dit vers la fin d’enlever son dentier et papa disait « mais ce sont mes dents, je n’ai pas de dentiers!« . Moi aussi, je suis à la retraite aujourd’hui mais j’ai travaillé 50 ans, sans un rhume, sans un jour d’arrêt maladie, même quand mon fils était malade, et j’ai toutes mes dents encore. Et puis aujourd’hui tout va bien, mon fils est heureux, en bonne santé et avec des enfants formidables. En tout cas je garde votre carte, je ne crois pas au hasard des rencontres.

-Merci Arlette. C’est une histoire incroyable que celle que vous venez de me raconter et j’adore les histoires incroyables. J’écrirais sur vous, votre père et votre fils ce week-end. Je suis d’accord avec votre père. La vie est belle. »

En quinze minutes, j’étais émerveillé par cette folle histoire que m’avait raconté, Arlette, fille de Gasparini. Alors voilà, normalement, c’est vous qui êtes émerveillé maintenant. Quelle chance!

Bon week-end, Boris.

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